Pays de l’Alleu

Nederlands: Land van het Vrijleen

Situé sur la rive droite de la Lys, à la limite entre le comté de Flandre, la châtellenie de Lille (Flandre wallonne) et le comté d’Artois, le pays de Lalleu regroupe les paroisses rurales de La Ventie, Sailly sur la Lys et Fleurbaix, ainsi qu’une partie de celle de La Gorgue. La coutume de 1543 proclame fièrement l’identité de cette enclave entre Flandres et Artois : « lequel pays (en) est pur voisin et en rien subject, tenu ne mouvant à nul, ne aucuns d’iceux ». Il s’agit en fait d’une vieille seigneurie ecclésiastique détenue par l’abbaye Saint-Vaast d’Arras.

Les habitants de cette partie de la plaine de la Lys vivent des activités agricoles et textiles. En dehors des cultures céréalières, les pâturages des bords de Lys permettent le développement de l’élevage. Le secteur textile y est anciennement implanté. La ville voisine d’Estaires, face à La Gorgue, est ville drapière depuis le XIIIe siècle et compte encore 874 métiers à tisser en 1474. Après la crise des draperies anciennes flamandes, c’est la draperie légère qui prend le relais au XVIe siècle, comme dans les centres voisins d’Armentières, Bailleul, Béthune et Lille. Dans les villages du pays de Lalleu, paysans et artisans travaillent le lin et le chanvre autant que la laine, et un petit noyau de drapiers anime la sayetterie et la toilerie à Estaires, La Gorgue et La Ventie. Les liens commerciaux avec Gand (et son étape du blé) et Anvers sont assurés par quelques marchands d’Estaires et par les bateliers de la Lys.

L’administration du pays de Lalleu est réglée par la coutume de 1259. A la veille des troubles religieux du XVIe siècle, l’abbaye de Saint-Vaast d’Arras délègue encore à Sailly sur la Lys un ecclésiastique prévôt chargé d’y garder les détenus. Le bailli héréditaire de Saint-Vaast est le comte d’Egmont, tandis que le roi d’Espagne, héritier des avoués (protecteurs laïcs de la seigneurie), nomme un bailli royal. 10 échevins, en fonction pour 2 ans, représentent les 4 paroisses et sont assistés d’un procureur d’office et d’un greffier. L’autonomie de ces échevins, dont la nomination par cooptation échappe à l’abbé de Saint-Vaast comme au souverain, est importante. Ils rendent la justice haute, moyenne et basse (le bailli du roi lançant les poursuites et mettant à exécution les condamnations prononcées par les échevins), font les règlements de police (surveillance des marchés, des poids et mesures, des prix du grain), convoquent les assemblées de villages et nomment les officiers responsables de l’assistance aux pauvres dans chacune des paroisse.

La genèse du protestantisme au pays de Lalleu peut être retracée à l’aide des enquêtes judiciaires menées sous le règne de Philippe II. Dès le début des années 1540, des laboureurs aisés suivent la doctrine calviniste. L’information tenue en 1555 dans le diocèse d’Arras révèle que La Ventie, Sailly et les villages voisins d’Erquinghem, Lestrem et Richebourg sont « mal famez » et que les habitants, à Pâques, « viennent à la confesse mais ne font confession sinon en général sans particulariser leurs péchez ». Au début des années 1560, la visibilité et le prosélytisme du noyau protestant s’affirment. Une représentation théâtrale contenant des propos anti-catholiques dénoncés par le curé amène la venue de l’évêque d’Arras François Richardot à La Ventie en 1561. Ses organisateurs se rabattent ensuite sur les lectures collectives à domicile, disant au curé qu’ils « pooient faire en leur maison ce qu’ilz voudroient ». Ce noyau évangélique très actif va même chercher en France un prédicant à la Noël 1565. L’année 1566 voit le basculement religieux et politique. Entre le 15 et le 17 août, presque toutes les églises du pays de Lalleu et des environs d’Armentières sont méthodiquement dépouillées de leurs « images » par les habitants eux-mêmes, parfois assistés de bandes itinérantes, sous la supervision des prédicants qui animent publiquement depuis le mois de mai les prêches des haies. Le succès de l’action iconoclaste dans cette enclave tient, au-delà du succès populaire rencontré par la nouvelle foi, au soutien de l’échevinage (8 des 10 échevins en poste en 1565-1566, calvinistes, font silence au bailli du roi sur la tenue des prêches puis encadrent en armes le bris des images) comme des influents gentilshommes calvinistes confédérés des environs (en particulier les seigneurs d’Escobèque et de Vendeville, qui assistent aux prêches et affichent ostensiblement leur protection aux réformés locaux). S’ouvre alors une difficile cohabitation entre catholiques et protestants. Les structures consistoriales, dominées par des laboureurs aisés, émergent au grand jour avec leur prédicant (un pour La Ventie, un autre pour La Gorgue et Lestrem, deux pour Estaires, un pour Richebourg, village voisin artésien) et leur maître d’école, salariés par la communauté. Elles entretiennent des relations étroites avec le consistoire d’Anvers, à qui elles envoient l’argent collecté en octobre 1566 pour tenter d’acheter la liberté de conscience dans les Pays-Bas. Les tensions naissent autour de la restitution des lieux de culte catholiques et de l’octroi de temples. Si le comte d’Egmont, en tant que gouverneur de Flandre, autorise en septembre 1566 l’édification d’un temple à Estaires et à La Gorgue (partie flamande), les protestants de La Ventie, Sailly et Richebourg se voient refuser le leur. A Fleurbaix, les catholiques s’organisent même pour assurer la garde de l’église et la continuité de leur culte. Et quand le greffier protestant Wattepatte partage en novembre 1566 les biens de la charité de La Ventie entre les deux confessions, il est désavoué par le bailli du roi qui l’oblige à restituer les lettres de rentes et les livres de compte. L’heure de la confrontation armée intervient en décembre 1566 avec l’interdiction des prêches et la sécession de Valenciennes. A la demande du prédicant Cornille de Lezennes, actif autour de Lille, le consistoire de La Ventie et le seigneur d’Escobecque décident le 15 décembre la prise d’armes pour aller secourir leurs frères de religion. Près de 200 hommes en armes se mettent en route depuis la Lys pour Tournai, encouragés par leurs chefs qui prétendent agir sous le commandement du comte d’Egmont. L’entreprise échoue avec les défaites de Wattrelos et Lannoy (26 et 29 décembre) face aux troupes de Rassenghien, gouverneur de Lille, et de Noircarmes, grand-bailli du Hainaut.

La reprise en main du pays de Lalleu s’avère difficile. Le désarmement est effectué dès janvier, tandis que les prêches cessent. L’échevinage est épuré en mars par le représentant du roi. La répression proprement dite est plus tardive, contemporaine de l’action du Conseil des troubles. Les briseurs d’images et ceux qui ont porté les armes sont poursuivis collectivement en 1568-1569, à l’issue des enquêtes lancées en 1567. 197 habitants des 4 paroisses font l’objet d’une information judiciaire et 24 sont finalement exécutés en 1568-1569. Beaucoup fuient, notamment vers l’Angleterre, à Sandwich et à Canterbury où l’ancien prédicant de la Gorgue, Lescaillet, devient le pasteur de la communauté wallonne de 1575 à 1596. Ceux qui restent se cachent et mènent des actions de guérilla : ces « gueux des bois » s’en prennent aux curés locaux et aux officiers du souverain, déstabilisant la région jusqu’en 1573. Ils parviennent même à assassiner le prévôt de la maréchaussée d’Artois en 1568.
Le pardon général accordé en 1574, après le départ du duc d’Albe, et le retour d’une fraction des réfugiés n’entraînent cependant pas la reconstitution des structures calvinistes, signe de l’efficacité radicale du Conseil des troubles. A la veille de l’Union d’Arras, les synodes protestants ne mentionnent plus que 2 prédicateurs itinérants chargés d’un vaste secteur dans la plaine de la Lys et l’Artois. Et la persistance des départs pour l’Angleterre après 1579 montre que ceux qui veulent vivre leur foi calviniste ne peuvent se maintenir sur place. Enfin, des réformes profondes réduisent l’autonomie politique locale, en renforçant le rôle du prévôt de l’abbaye Saint-Vaast dans les procédures judiciaires (1589) et dans le renouvellement de l’échevinage conjointement avec le bailli du roi (modification de la coutume en 1597). Et si le protestantisme est très sporadiquement attesté après la conquête française et lors de la Révocation de l’Edit de Nantes, il est difficile d’établir s’il s’agit d’une survivance transmise clandestinement depuis la Révolte ou s’il résulte d’apports extérieurs du XVIIe siècle.

Sources imprimées

Troubles religieux du XVIe siècle dans la Flandre maritime 1560-1570 : documents originaux / Ed. de Coussemaker. – Bruges : Aimé de Zuttere successeur de Van de Casteele-Werbrouck, 1876. – 4 dl. : ill. ; in-4. – (Recueil de chroniques, chartes et autres documents concernant l’histoire et les antiquités de la Flandre publié par la Société d’émulation de Bruges). Recueil de chroniques, chartes et autres documents concernant l’histoire et les antiquités de la Flandre publié par la Société d’émulation de Bruges.

Bibliographie

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Les hérésies pendant le Moyen Âge et la Réforme jusqu’à la mort de Philippe II, 1598, dans la région de Douai, d’Arras et au pays de l’Alleu / Paul Beuzart. – Le Puy : Imprimerie Peyriller, Rouchon et Gamon, 1912. – XI, 576 p. : ill., uitvouwb. krt. ; 25 cm. Voortitel: Les hérésies et la Réforme dans la région de Douai, d’Arras et au pays de l’Alleu. – Ook verschenen als proefschrift Parijs.

Dom Eugène (religieux à l’abbaye de Sainte-Marie au Mont), Troubles du XVIe siècle au pays de Lalleu, à Estaires, Merville et la Gorgue, dans: Annales du Comité Flamand de France 17 (1888) 36-54

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