Marguerite de Parme à Philippe II


Ravages affreux des iconoclastes

22 août 1566

D’après : Le Baron de Reiffenberg, Correspondance de Marguerite d’Autriche avec Philippe II (Bruxelles : Delevingne et Callewaert, 1842) pp. 182-186

Monseigneur,

Depuis mes aultres lettres closes je ne puis délaisser d’advertir V.M. de la continuation des saccagemens des églises, cloistres et monastères de par deà, où ces sectaires et leurs adhérens jettent par terre et brisent touttes les images, autels, épitaphes, organes, sépultures, livres, ornemens d’églises, calices, sacrements et généralement toutte chose quelconque servant au service de Dieu, tellement que l’on m’asseure que, en Flandre seule, ils ont déjà saccagé plus de 400 églises, et ne cesseront tant qu’ils auront achevé, mesmes ont mis le feu dedans l’église et cloistre des Dunes, où ils ont brûlé la librairie; le mesme ont-ils faict dans l’abbaye de Clermaretz, lez St.-Omer, comme ils ont faict en l’abbaye de Watton, et menacent encoires de faire plus fort pour faire les mesmes par touttes les églises d’Artois; advertissant V.M. que, en tous ces monastères et cloistres, ils abattent touttes sépultures des comtes et comtesses de Flandres et aultres. Cejourd’huy j’ay eu nouvelles qu’ils ont pillé et saccagé la grande église de Nostre Dame d’Anvers, et tous aultres cloistres et églises paroissiales, voiant et spectant le peuple, sans contredire; et estoient environ le nombr de cent, tous canailles. Et non contens de cela, j’entends que ce jourd’huy sont sortis de la ville pour faire le semblable en l’abbaye de St.-Bernard, deux lieues dudict Anvers, où ils sont encoires présentement, et disent qu’ils ne cesseront qu’ils n’aient achevé tout allenviron; me faisans ceulx de la ville nouvelle instance pour r’avoir le prince d’Orange. Et comme ceulx de Tournay et de Valenchiennes se règlent à l’exemple de ceulx d’Anvers, ainsy qu’ils osent dire publicquement , je n’attend aultres que d’oyr qu’ils auront perpétré le mesme èsdittes villes, comme aussy je doubte de Lille, Audenaerde et Courtray.
Ils ont aussy faict à sacq tous les cloistres à Gand, et, à ce que j’entends, sont présentement achevans aux églises cathédrales et parochiales. Et au païs de l’Alleu, ils ont enchassé tous les prestres; en aulcuns lieux ils commenchent à mectre peine contre ceulx que ne veuillent venir aux presches, contraignans les bons d’estre de leurs.
Je suis menacée et advertie qu’ils doibvent faire ce jourd’huy ou demain le semblable en ceste ville, et suis délibérant sur l’empeschement que j’y doibs, aïant peu d’espoir d’en y savoir obvier, s’ils veuillent faire mal, sy, comme tous, ils ne cessertont que le tout ne soit saccagé et détruit. Et ne vois aultre chose, sy non qu’ils feront un pillage général partout, car je ne treuve nulle assistence et remède à tous ces maulx, me disans ceulx qui sont fondez en l’assemblée des Estats généraux, que je ne fais rein si je ne l’accorde et que je laisse la liberté de conscience, laissant faire les presches; seulement faisant déposer les armes et faire cesser ce sacq et pillage d’églises et toutte voye de faict. Plaira à V.M. me déclairer ce que icelle treuvera convenir pour son service. Demain ou après je doibs résouldre, avec ces chevaliers de l’ordre, sur le contenu des dernières de V.M., desquelles, à ce que je vois, n’auront tel contentement qu’il me semble debvroient bien avoir. Et me recommandant, etc.

De Bruxelles, le 22e jour d’aoust 1566

Estant ce que dessubs escript, suis esté advertie par lettres du sieur de Morbecque, capitaire d’Aire, que les sectaires commenchent à venir aux églises, y faire leurs presches, comme en forme de temple, et qu’ils y doibvent prescher de brief, disans qu’ils ont assez presché aux champs. En somme, Monseigneur, sy je voullois continuer de particulariser ce qui est survenu en trois ou quatre jours de sacq et pilleries d’églises et monastères, à Malines, Tournay, Valenchiennes et aultres lieux, et au péril que je me suis treuvé moi-mesme, en ceste ville, Louvain, et ailleurs, en ce païs de Brabant, il seroit besoing de adresser aultres lettres appart; mais regardez à le faire pour un aultre despesche, que je feray incontinent suivre, ensemble ce que j’ay faict avec ces chevaliers de l’ordre, sur le contenu desdittes lettres de V.M.; et diray seulement en ceste que j’ay donné pardon à ces confédérez, en forme d’asseurance, moyennant qu’ils se conduisent comme bons et loyaulx subjects de V.M., et le compromis demeure nul et aboli, comme je l’envoyerai à V.M., sitost que mesdittes lettres seront expédiées, et celles de l’obligation qu’ils me doivent donner. J’espère partant que ces pillages et saccagemens cesseront aulcunement, mais je ne vois que les presches puissent encoires prendre fin; que causent tous ces troubles et émotions, par quoy la présence de V.M. nous est plus que nécessaire.