Le prince d’Orange et les comtes d’Egmond et de Hornes à Philippe II

11 maart 1563 [a.s. 1562]

Source: Louis-Prosper Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne II, 35-38

Commentaire: Ils se plaignent de l’autorité que s’arroge le cardinal de Granvelle, représentent au Roi le mécontentement qu’en ressent tout le pays, le prient de remédier aux maux qui peuvent en résulter, l’assurent de la satisfaction qu’ils ont de la duchesse de Parme, lui demandent leur démission de conseillers d’État, et protestent de leur zèle pour la religion.

Bruxelles, 11 mars 1562 [n.s. 1563]

Sire, nous sommes très-déplaisans que ne povons plus différer d’advertir Vostre Majesté de ce que longuement avons pour ung mieulx dissimulé, afin de n’adjouster à la multitude de voz grandes occupations l’empeschement de ceste nostre remonstrance: mais l’évident desservice que, sans nul doubte, nostre taciturnité pourroit apporter à Vostre Majesté, et l’apparente ruine des affaires de voz pays de par deçà, nous contraignent, après longue dissimulation, finablement rompre le silence, et par ceste vous informer librement de la source de ce dangier, que nous fait espérer qu’elle recepvra ceste nostre advertence, pure et franche de toute passion, avecq telle bénignité et pareille recognoissance au zèle qu’avons à son service.
Conforme à quoy, la supplions très-humblement nous vouloir pardonner que de chose tant importante avons si tard adverti Vostre Majesté. Et est, Sire, que, quand tant hommes de par deçà, bien principaulx, viennent à enfoncer [approfondir] l’auctorité qu’a le cardinal de Granvelle ès affaires de ces pays, ilz entendent clairement que la masse des affaires dépend de luy, laquelle persuasion est si avant enracinée ès coeurs de voz subgectz de par deçà et de nous, dont ne voulons dissimuler envers Vostre Majesté qu’il ne fault espérer de la pouvoir jamais extirper durant sa présence.
Pour tant, Sire, vous supplions en toute humilité, comme vassaulx telz que Vostre Majesté nous cognoist, sans icy remémorer la promptitude par laquelle nous vous avons tousjours servi, qu’il vous plaise considérer combien il importe à vostre service remédier ung si général mescontentement.
Davantaige, désirons bien que Vostre Majesté s’asseure que, tant que le cardinal aura le maniement des affaires de par deçà, jamais voz affaires n’auront icy le succès que Vostre Majesté et nous désirons, pour estre si odieux à tant de gens. Par quoy, Sire, si Vostre Majesté désire le bien de ces pays, l’avancement de ses affaires, et éviter toute confusion, nous vous supplions derechief y remédier.
Et, ne fust l’instant dangier qui nous menasse de grands inconvénients, en cas que Vostre Majesté tarde d’y remédier, ne nous aurions volu eslargir vous en escripre avec si grande véhémence. Mais, certes, Sire, cest affaire ne souffre plus aucun dilay ni dissimulation: et pour tant vous supplions nous voulloir donner foy, si oncques nous avons mérité d’obtenir de Vostre Majesté crédence aucune en chose de si grand poix. Ce faisant, Vostre Majesté évitera plusieurs grans meschiefz très-apparans; et, à ceste cause, plusieurs principaulx seigneurs, aians charge des gouvernemens et autres en ces pays, ont trouvé expédient et très-nécessaire vous faire entendre le contenu de ceste remonstrance; et, en cas que Vostre Majesté n’y remédie par la voie susdicte, est apparente la ruine de ses pays.
Et, au contraire, si Vostre Majesté, comm’ilz espèrent, trouvera plus convenir et raisonnable gratifier à tant de voz humbles et très-affectionnez serviteurs, pour le salut et tranquillité de ses pays, que non les tous mescontenter, pour ung seul satisfaire, nous espérons que lors, estant remédié cest inconvénient par vostre prudence, les affaires de par deçà s’enchemineront, avec le temps, si bien que Vostre Majesté cognoistra le fruit de ce changement, et l’affection que nous tous, son peuple et ses estatz, avons à son service, prospérité et grandeur, mesmement estans tous fort contens et satisfaictz de Madame, de laquelle ne nous povons sinon grandement louer.
Et, afin d’obvier à l’oppinion en quoy Vostre Majesté pourroit encourier, par la persuasion d’autruy, que, pour nostre ambition ou particulier prouffit, nous aurions dressé ceste remonstrance, vous supplions, si le trouvez convenir, nous déporter de l’estat du conseil, ne nous semblant estre requiz, tant pour le service de Vostre Majesté que pour nostre réputation, de demourer plus longtemps audict conseil, avecq la mauvaise satisfaction qu’avons au cardinal.
Au demourant, quant au fait de la religion, chose, pour le temps présent, de singulière conséquence, Vostre Majesté peult estre seure que ferons tousjours les debvoirs de bons subgectz et vassaulx catholicques; et, ne fust le bon zèle que les seigneurs principaulx, la noblesse et autres gens de bien tiennent à la religion, les affaires ne seriont en ces pays encoires en telle tranquillité et repos: car, sans faulte, le commun peuple est assez endommaigé, et n’y remédie en riens la vie du cardinal, ny son auctorité.
Finablement, pour conclusion de cestes, supplions très-humblement Vostre Majesté que luy plaise prendre nostre présente remonstrance de bon part, et croire qu’elle ne procède que du bon zèle qu’avons au service de Vostre Majesté, et pour le debvoir et acquit de nostre serment; aussi, que Vostre Majesté ne nous puisse inculper, si quelque inconvénient en advenoit, de ne l’avoir prévenu et adverty. Et sur ce, Sire, baisans très-humblement les mains de Vostre Majesté, prions Dieu donner à icelle, en prospérité, bonne vie et longue. De vostre ville de Bruxelles, le xje jour de mars xvc lxij.
De Vostre Majesté très-humbles et très-obéissans subgectz et vassaulx.

Guill[aum]e de Nassu

Lamoral d’Egmont

P. de Montmorency

Copies de XVIIIe siècle, aux Archives du Royaume: Lettres de et à Guillaume de Nassu, t. IV, et Collection de documents historiques.