Retraite du duc d’Anjou

Si j’avois la faconde
De savoir raconter,
Et dire à tout le monde
La grand nécessité
Qui est en ceste fois
Sur nous pauvres Franois!

Il y a en ceste armée
Tant de braves soldats
Qu’endurent et patissent
Pour Messieurs des Estats,
Ni n’oseront chanter
Leur grand nécessité.

L’un veut vendre ses chausses
Et l’autre son pourpoint,
L’autre son arquebouze,
Pour un morceau de pain;
vont chez le vivandier
Et s’en vont sans payer.

Le vivandier se fâche
A monsieur de Beaupuy,
Luy demandant justice,
Au prevost et à luy:
Torment, tu cognois bien
Que les soldats n’ont rien.

Du temps que nostre prince
Estoit dedans anvers,
Nous faisions bonne chère
Dedans les cabarets;
Nous avions des moyens,
Mais nous n’avons plus rien.

La chance est bien tournée,
Le temps est bien changé;
Nous n’avons plus de bière
Ni de pain à manger.
Mon Dieu, le grand tourment
Quand on a point d’argent.

Depuis que nostre maître
S’est de nous exempté,
Nous n’avons que misère
Et grand calamité.
Bien heureux est celuy
Qui est auprès de luy.

Vous faictes ici guerre
Pour des gens inconstans,
Que sont autant aimables
Comme la pluye au vent;
Le petit veut avoir
Sur le grand pouvoir.

Monsieur le mareschal,
Lieutenant général,
Ne faictes plus la guerre
Pour ces gens inconstants;
Amenez nous souldain,
Car nous mourons de faim.

Monsieur de La Vallé
Il y est esveillé,
Qu’avez toute puissance
Sur tous les chevaliers,
Pouvez-vous bien souffrir
Nous voir ainsi languir?

Monsieur de La Moverie,
Lagard de Glaveson,
Priez tous, je vous prie,
Monseigneur le baron,
Qu’il ne permette point
Que nous souffrions de faim.

Mais si jamais peux être
En France, en ma maison,
Ne feray jamais guerre
Pour ce villain Cryon;
Combattray pour mon roy,
Pour Monsieur et sa loy.

Prions tous, je vous prie,
Le Seigneur tout-puissant,
Qu’il nous donne la grace
De sortir de Brabant;
Et nous donne la paix,
Qui dure à tous jamais.

Qui a fait la chansonnette? –
C’est un brave soldat,
Estant en sentinelle
Près de Bergues sur Jon,
Qui n’en souffroit la faim
Et n’avoit point de pain.

D’après: J. van Vloten, Nederlandsche geschiedzangen , II, 279-280.