Pouvoir politique et autorité dans le Marquisat.
Étude sur la ville et le pays de Bergen op Zoom (1477 – 1583)
Située tout près de la mer du Nord, ville limitrophe de l’Escaut et aux confins des Principautés de la Flandre, de la Zélande, de la Hollande et du Brabant, Bergen op Zoom était prédisposée à jouer un rôle de premier plan dans une constellation dépassent les intérêts de la province même. Cette situation se présentait sous l’influence complexe du pouvoir qu’exeraient alors les princes de Bourgogne et de Habsbourg en Europe. Sous la prépondérance de ces princes s’est formé un centre économique des plus forts aux Pays-Bas, dont le triangle, formé par le duché de Brabant et par les comtés de Flandre et de la Hollande, constituait le centre de gravité. La ville et le pays de Bergen op Zoom ont prospéré en large mesure grâce à l’appui des seigneurs de la maison de Glymes, qui y détenaient le pouvoir de 1419 à 1567.
Le but de cette étude est de mieux appréhender les implications et les entrelacements de la ville et du pays, tout en partant non seulement des expansions de la Bourgogne et de l’augmentation de l’influence de la Maison de Habsbourg, mais encore de l’accroissement du pouvoir du Seigneur de la ville, dès 1533 devenu marquis, ce qui met en relief les tendances d’intégration de la ville et du pays. Néanmoins aux alentours de la ville, la dissémination de villages, de marécages et de vasières, ainsi que l’imbroglio des compétences à la campagne exigeaient plus de cohérence pour faire face aux difficultés, soulevées par la concentration du pouvoir des Seigneurs, et pour faire face aux inondations ou autres caprices de la nature C’est la raison pour laquelle dans cette étude sur l’intégration de la ville et du pays une large part a été réservée à l’enquête des relations entre la terre et les hommes. Pour cette raison même et pour apporter aussi plus de transparence à l’histoire géographique de la vile et ses alentours, l’auteur s’est engagé à illustrer les résultats de ce secteur, tout comme ceux de nombre d’autres recherches, de cartes, de graphiques et d’autres moyens de visualisation De telles présentations sont rarissimes en histoire du droit selon l’expression du professeur Van Caenegem (Revue d’histoire du droit, 1965, 534). Ensuite, le livre a pour but de contribuer à une prise de conscience plus dynamique de plusieurs aspects de la Société médiévale et des Temps Modernes. C’est surtout en ce sens que l’auteur a mis en évidence la perspective de plusieurs études sur les aspects de l’histoire du droit, de l’histoire de l’église, de l’histoire économique, de l’histoire géographique. Bien que cette étude ne s’inscrive pas dans les rangs des études, dites ‘total history’, on y trouvera des points de départ pour des études ultérieures plus détaillées.
Sur le plan de la méthode suivie, tout porte à croire que cette enquête a abouti à une étude institutionnelle classique. Il faut cependant se méfier des apparences. C’est grâce aux résultats du Colloque de Bruxelles de 1975 que, tout en étudiant les instruments du pouvoir seigneurial, l’auteur a su transposer le niveau de normes étudiées au niveau de réalités vécues. L’étude en détail des sources, dont l’auteur a parfois inventorié les documents pour la première fois, a permis à l’auteur de présenter les résultats de ses recherches sous forme de documents ce qui amène une fois de plus à une sérieuse recommandation de la consultation d’un fonds d’archives souvent oublié.
Des points de vue chronologique et politique, le hasard n’a pas voulu que le choix de l’objet à examiner se soit porté sur la période 1477-1583. Pour bien comprendre l’ultime raison de ce choix, il faut savoir que cette étude de Bergen op Zoom et de son pays s’inscrit dans le cadre d’études de longue durée, voire d’études séculaires. Tout en partant de l’évolution politique de l’époque, cette enquête porte surtout sur l’apogée du pouvoir des Bourguignons et des Habsbourg en ce qui concerne les Pays-Bas, et, en sens inverse, elle se dirige sur le déclin des Habsbourg sous Philippe II lorsque les Pays-Bas, le marquis de Berghes y compris, se soulèvent contre leur Prince et que le marquisat est placé sous l’intendance d’un commis princier. Sous ce rapport, cet examen ne comprend pas seulement l’histoire d’une ville renommée mais aussi les apports à la naissance de l’état moderne qu’elle y a faits jusqu’au début de la guerre de quatre-vingts ans. Cette étude montre comment – par le truchement d’une entente locale entre le Prince et le Seigneur la ville a été transformée jusqu’à la tenue, voire à la manipulation des rênes du pouvoir.
Dans a première partie, il s’agit des relations entre le Duc du Brabant et le Seigneur de Bergen op Zoom. Au cours du Moyen-Age, le Duc du Brabant est devenu un des plus puissants princes des Pays-Bas. Ayant pris la succession de ses ancêtres, qui avaient possédé une grande partie du Nord-Ouest du Brabant, le Seigneur de Bergen op Zoom tient sa seigneurie en fief du duc de Brabant, son seigneur féodal. Néanmoins, comme le Brabant est très vaste et que le Duc n’est pas toujours en mesure d’imposer sa volonté aux résidents, les plus puissants parmi les Seigneurs du pays ont des fois profité des faiblesses du Duc pour faire croître leur propre pouvoir. Aussi ceux-ci ont-ils pu avoir des privilèges et des droits que d’autres princes n’ont jamais concédés à leurs vassaux. En outre, grâce à leur position périphérique dans le duché, les Seigneurs de Bergen op Zoom ont parfois bénéficié des inadvertances ducales. L’époque des Bourguignons et ensuite celle des Habsbourg a amené un équilibre instable entre les intérêts réciproques, notamment celui entre la dépendance d’une part et l’autonomie de l’autre. N’ayant lui-même la disposition de suffisamment de territoires qui l’aient obligé à plus d’interventions dans le Nord-Ouest du Brabant, le Duc s’y trouve pourtant dans une situation où il représente l’autorité suprême. Dès 1406 cependant, quand la maison de Louvain s’avère une fois laissée sans postérité, le duché du Brabant paraît intégré aux territoires des Bourguignons. Ceux-ci gouvernent leurs principautés de plus en plus selon des concepts de la centralisation. De nouvelles institutions sont créées et les relations avec la noblesse se modifient petit à petit. Au début de l’époque examinée, les Seigneurs de Bergen op Zoom s’avèrent être les piliers loyaux de la politique des Habsbourg. Par suite des grandes mutations de la fin du XVlème siècle et des reformes politiques et institutionnelles, la légitimité du pouvoir seigneurial a change d’aspect.
Du point de vue du Prince, le pouvoir du seigneur se trouve fortement accru parce que les Seigneurs de Bergen op Zoom acquièrent dès lors une place considérable et respectueuse tant dans la société civile que dans le monde ecclésiastique concernant le gouvernement de l’ensemble des Pays-Bas. Du point de vue de la ville et de l’ensemble du pays, le pouvoir du seigneur, tel qu’il a été conditionné de la tradition, des droits ancestraux et des références historiques, se trouve de plus en plus lié à une nouvelle identité, notamment à l’entente entre le Prince et le Seigneur qui ne tarde pas à être marquis. Le marquisat s’avère être l’apogée de l’entente réciproque, où Prince et Seigneur sont parvenus à un nouveau paroxysme (1533). La qualité de membre de l’Ordre la Toison d’Or, attribuée à plusieurs Seigneurs de Bergen op Zoom, en est une autre marque caractéristique. C’est justement à cette époque que Bergen op Zoom, alors haut lieu politique, administratif et culturel a connu elle aussi son siècle d’or. La ‘Markiezenhof (la Cour des Marquis), à plusieurs reprises résidence des princes de Habsbourg de l’époque, en constitue aujourd’hui encore le vestige ineffaable.
Le soulèvement des Pays-Bas contre Philippe II a mis fin à la relation privilégiée. Au lendemain de la mort de Jean IV de Glymes, dernier marquis de Bergen op Zoom, la seigneurie est confisquée en 1567. La Pacification de Gand (1576) met fin à la domination des Espagnols. Au début, Jean de Wittem, marié avec la marquise héritière, prend le parti des partisans du soulèvement, mais plus tard il se réconcilie avec le parti royal et part à l’assaut de sa propre ville. Ensuite les États du Brabant, ayant saisi le pouvoir dès 1582, concèdent le marquisat au dirigeant du soulèvement, à savoir au Prince Guillaume d’Orange, pour la durée des irrégularités. Cependant sa brusque mort en 1584 n’a pas fait changer de cap la ville de Bergen op Zoom.
La deuxième partie de l’enquête porte avant tout sur les grandes transforma-tions de l’administration seigneuriale depuis la fin du XVlème jusqu’a la fin du XVllème siècle. Tout en gouvernant lui-même son territoire pendant l’époque passée, le seigneur de Bergen op Zoom, assisté de vassaux et d’officiers, n’a pourtant pas su créer ses propres institutions sociales. De toute évidence, il existe déjà une cour féodale pour l’administration des biens féodaux. Grâce aux transformations économiques, politiques et culturelles, les seigneurs ont réussi à créer leurs propres institutions après la mort de Charles le Téméraire. Dans la création des institutions, il faut avant tout tenir compte de l’influence du conseil seigneurial parce que ce dernier se trouve toujours en mesure d’imposer le pouvoir aux territoires du Seigneur ou en prendre la gestion en cas d’absence du Seigneur. Les premières tentatives d’un tel conseil se dessinent sous Jean II de Glymes (1480 et 1493), mais elles sont loin de perdurer. Jean III, son fils, a créé un nouveau conseil en 1494, mais au bout de neuf ans il l’a supprimé. Le conseil, de nouveau institué en 1521, se voit de plus en plus chargé de deux tâches différentes : celle ce conseiller le Seigneur en ce qui concerne le gouvernement du pays d’une part, et ensuite celle de surveiller l’administration des biens domaniaux de l’autre. Parallèlement aux tâches du conseil, celles de la cour féodale sont doublées, ce qui revient à une transformation simultanée tant en cour suprême qu’en cour d’appel des bancs échevinaux du pays de Bergen op Zoom.
En examinant l’attitude prise du Seigneur envers ses officiers supérieurs, lon s’aperoit aussi d’une pareille hésitation. A la longue cependant, deux évolutions majeures s’accentuent avec prégnance. Dès 1480, les dirigeants locaux se sont accidentellement occupés de quelques parties du territoire seigneurial. Petit à petit, un nouveau groupe de dirigeants s’annonce, c’est-à-dire les écoutètes de quartier qui avaient de multiples compétences substantielles vis-à-vis des officiers locaux. Un sous-écoutète ou lieutenant, étant subordonné a l’écoutète de quartier, dirigeait depuis lors les affaires au niveau des bancs échevinaux du pays. Pendant de longues années, il y a eu deux systèmes successifs où alternaient le système des écoutètes de quartier et celui d’un écoutète auprès d’un banc échevinal. Petit à petit, on a cependant centralisé la superposition de quelques hauts fonctionnaires dans la ville et dans le pays : le lieutenant du seigneur et de la cour féodale obtient alors une position plus importante que le greffier du seigneur. Cest ainsi quen tant que représentant du seigneur lors de ses absences, le lieutenant présidait les réunions du conseil et de la cour des comptes, tandis que le greffier devenait l’homme de confidence par excellence.
Suite à laugmentation des occupations, une nouvelle répartition de la gestion des domaines seigneuriaux s’est avérée inévitable. En 1520, Jean III a divisé sa seigneurie en quatre intendances. Quelques années plus tard, en l526, une cinquième intendance sest constituée, à savoir celle de Oudenbosch et annexes, dite Quartier Est. D’autres intendances ont été créées lors de l’endiguement et de lassèchement de diverses régions. Dhabitude, on chargeait une seule personne de lintendance. C’est la raison pour laquelle on constate une dispersion dans l’organigramme du marquisat. Les réformes décrites ont sans aucun doute entraîné une rationalité accrue sur le plan de lefficacité administrative et gestionnaire des biens domaniaux. Comme lon peut l’observer ailleurs aux Pays-Bas, la recherche de collaborateurs qualifiés ou de formation universitaire pour les fonctions de lieutenant, de greffier et dintendant a largement ajouté à la professionnalisation et à la bureaucratisation de la ville et du pays. Le réseau des relations administratives et judiciaires a tout changé de fond en comble. A cet égard, le lecteur fera bien en consultant les cartes et les plans, qui présentent en détail lhistoire des changements qui se sont produits dans les divers districts administratifs.
La troisième partie cherche une réponse à la question de savoir quelle part doit être attribuée aux nouvelles institutions seigneuriales dans l’analyse d’une vision appropriée sur la justice et la police.
Depuis longtemps, la composition du gouvernement de la ville était plutôt compliquée. La ville seigneuriale est un type de ville qui jouit de tous les avantages et de tous les droits attachés à la ville. Bien que presque chaque ville médiévale se trouve sous la tutelle d’un empereur, d’un roi ou d’un prince séculier ou ecclésiastique, la ville seigneuriale est plutôt une ville exemplaire pour mieux comprendre le pouvoir et linfluence du seigneur et des autorités locales et régionales. Depuis longtemps, une résistance contre l’ingérence du seigneur se faisait sentir dans la ville. Le pouvoir accru des officiers était considéré comme un abus de pouvoir et comme une violation des privilèges. La dégradation de la situation économique de la ville a provoqué une position de plus en plus dépendante de ladministration de la ville à l’égard du seigneur. C’était le seigneur qui devait obtenir les grâces auprès du gouvernement telles que les réductions des charges financières et gouvernementales. C’était à lui qu’incombait la tâche de réduire le montant de ses propres aides ou d’en dispenser temporairement ses ressortissants. De cette sorte, Jean IV de Glymes a tenu les rênes en cette affaire dans les années cinquante et c’est ainsi qu’il a assaini l’administration financière de la ville. En revanche, les officiers et les hommes de paille ont obtenu l’accès aux assemblées de ladministration de la ville dans la conviction qu’ils jouissaient du droit d’y délibérer et d’y prendre des décisions à telle enseigne que les décisions prises en leur absence ne vaudraient absolument rien. Néanmoins, les dirigeants de la ville, nourris dans le sérail, tout en ne refusant pas, remettaient pourtant leur acquiescement à plus tard
Depuis longtemps déjà, il y avait à la campagne les bancs échevinaux qui, en faveur des habitants et de l’administration des villages et des hameaux, s’occupaient aussi des affaires. En outre, les juridictions à part entière, comme les tribunaux des canaux et des polders (waterschap ou administration des eaux), avaient aussi le droit de traiter des affaires de l’administration et de la justice. Des cartes et des plans présentent les changements qui se sont produits dans les trajets des voies judiciaire et administrative. Les officiers traditionnels se sont souvent montrés très mécontents de l’attribution des compétences aux écoutètes de quartier vis-à-vis de l’administration locale. Les nouvelles ordonnances que le marquis et son conseil ont imposées aux villages, nécessitaient les villageois de se déplacer plus fréquemment et de contribuer beaucoup plus à l’administration, de telle sorte que, là aussi, on constate des mouvements de grande résistance.
En plus, le marquis, le conseil et le magistrat de ville veillaient à bien garder l’autonomle du marquisat vis-à-vis de la ville dAnvers qui, depuis le XVIème siècle, cherchait déjà à s’imposer à cette région. Des différends avec les seigneurs de Breda et de Zevenbergen et avec l’abbé de Saint-Bernard-sur-I’Escaut se prolongeaient infiniment. De plus en plus, une pression augmentée et plus forte de la part des institutions princières (mettons les ‘Conseils Collatéraux’) et ducales se manifestait alors sensiblement. A cet effet, le marquis et la ville avaient la disposition de leur propre avocat et de leur propre procureur auprès du Conseil du Brabant.
A la fin de cette enquête, l’auteur se demande comment et dans quelle mesure l’intégration du marquisat de Bergen op Zoom avait progressé dans le complexe des pays de Bourgogne et de Habsbourg. Est-ce que le marquis, en quelque sorte ayant été en mesure de maintenir une autonomie relative, aurait vraiment eu les capacités de collaborer à une culture de participation avec ses propres seigneurs et princes?
Dans les annexes, l’auteur donne une présentation des différentes couches de la population qui ont présidé aux échanges de pouvoir, notamment de l’élite ou des partenaires clés du marquis. Bien que, maintenant, le terme ‘élite’ renvoie à réputation en quelque sort douteuse qui évoque les temps où les marquis faisaient bastonner les manants, les listes des dirigeants de la ville de Bergen op Zoom, du conseil et de la cour des comptes sont indispensables à la compréhension des rapports réciproques. Le seul compte rendu des faits en accentue le potentiel qui se cache derrière ce sujet, qui aurait pu constituer le point de départ d’une autre thèse. Par ailleurs, l’auteur prépare déjà lélaboration dune étude sur l’élite et la ploutocratie, qui fera suite à cette monographie.
Compte rendu de la thèse de M. Willem A. van Ham, soutenue à l’Université de Nimègue, le 14 juin 2000. Macht en gezag in het Markiezaat : een politiek-institutionele studie over stad en land van Bergen op Zoom (1477-1583) (Hilversum : Verloren, 2000)