Guillaume d’Orange et les comtes d’Egmond et de Horn à Philippe II


Première protestation du prince et des comtes


29 juillet 1563

Explication

Deuxième lettre de protestation. Ils présentent au roy que l’état du pays ne permet à aucuns d’eux de s’en absenter; qu’ils n’entendent pas d’ailleurs se rendre accusateurs du cardinal de Granvelle. Ils lui envoient une remontrance quils ont présentée à la gouvernante , et le prient de trouver bon qu’ils s’abstiennent d’assister au conseil d’Etat, jusqu’à ce qu’il y avait mis un autre ordre. Ils protestent, en terminant, qu’ils continueront de remplir leurs devoirs dans les affaires de leurs gouvernements et charges.

D’après : Louis-Prosper Gachard, Correspondance de Guillaume le Taciturne II, 42-47.

Bruxelles, 29 Juillet 1563

Sire, ce n’a point esté sans grant désir, que avons attendu, par l’espace de quatre mois, la résolution qu’il plairoit à Vostre Majesté prendre et nos mander sur ce que, pour son service et nostre descharge, luy avions escript le xje jour du mois de mars dernier passé, espérant bien que icelle auroit tel regard, que la chose le requiert, pour le repoz, tranquillité et conservation de ses pays. Sur quoy nous avons puis nagaires receu la lettre qu’il a pleu à Vostre Majesté nous escripre le vje jour de juing, et laquelle avons communicquée aux autres seigneurs et chevalier de vostre Ordre, par l’adviz desquelz nous vous avions escript, lesquelz derechief se sont bien volu assembler icy avecq nous, pour par ensemble délibérer de ce que aurions à faire pour vostre service, respectant lequel nous espérions, Sire, plus ample résolution que celle qu’il a pleu à Vostre Majesté nous mander, mesmement considérant le poix et importance de nostredict premier advertissement, que sembloit requérir une provision prompte et preste pour l’estat de voz affaires et pays de par deà. Vray est que ce nous est une singulière consolation, que non seulement il plaist à Vostre Majesté recognoistre que ce que luy avons remonstré procède du bon zèle et affection que nous avons à vostre service, mais aussi que nous donnez bonne espérance de visiter en brief vosdicts pays de par deà, pour veoir et cognoistre de plus près ce qui en est: qui est la chose que le plus désirons en ce monde. Cependant, néantmoins, comme il a pleu à Vostre Majesté nous mander son bon plaisir, nous n’avons volu faillir à nous acquitter de responce.
Vostre Majesté nous escript que ce luy seroit plaisir que quelqu’un de nous trois se trouvast par devers icelle, pour l’informer davantaige de ce dont lui avons escript, et des causes et raisons que nous meuvent: or, c’est aussi cela, Sire, que désirons le plus, mesmement pour povoir de plus en plus, en présence de Vostre Majesté, descouvrir tous nos désirs tant affectionnez à votre service, comme nous savons que le pourrions mieulx faire de bouche que par escript, et que ne ignorons point combien telle remonstrance auroit plus de poix et de force; et de fait, si les choses estoient icy tellement disposées, qu’elles puissent supporter nostre absence, jà pièa [= déjà depuis longtemps] non-seulement l’ung de nous, mais plustost tous ensemble, nous nous eussions, à ces fins, transportés vers Votre Majesté. Mais, pour le présent, l’estat de voz pays et affaires est tel, que nul de nous ne s’en peult bonnement absenter, sans délaisser ce que concerne vostre service sur toutes choses, mesmement en ce temps doubteux, auquel nous voions les dangereuses menées et subtilles practiques des voisins de tous costez, et que vostre peuple de par deà en est tellement agité, qu’il en pourroit aisément estre surpris: de sorte que, quant Vostre Majesté entendroit ce qui en est, encoires que nous fussions en chemin, elle nous contremanderoit.
Au reste, Sire, s’il n’est question que de ce que touche le cardinal de Granvelle, nous ne pensons point que ce soit cause souffisante pour laisser icy ce que touche de plus près à vostre service: car aussi nous n’entendons point de nous rendre comme parties formées à l’encontre de luy, ni entrer en quelque procédure de procès, ains espérions que le simple et brief advertissement qu’en avons escript, sans autre forme d’accusation, pourroit suffire à esmouvoir Vostre Majesté pour adviser quelque moyen honeste et gracieux de satisfaire à la juste doléance de voz très-humbles subjectz, en emploiant ce personnaige en autre endroit où il pourroit faire plus de fruit, selon sa profession et vocation.
Il est vray, Sire, que, Vostre Majesté très-justement nous escript qu’elle n’a point accoustumé de grever aucuns de ses ministres sans cause: mais nous la supplions très-humblement de penser qu’il n’est pas icy question de grever ledict cardinal, ains plustost de le descharger, voire d’une charge laquelle non-seulement lui est peu convenable et comme extraordinaire, mais aussi ne peult plus estre en ses mains, sans grand dangier d’inconvéniens et troubles; et n’est besoing d’entrer plus avant au discours des causes, puisque ce qu’en disons n’est que trop évident. Or, quant à ce qu’il a pleu à Vostre Majesté nous mander, que en nos premières lettres n’avons exprimé aucune cause particulière, nous vous supplions, Sire, très-humblement de croire que ce n’a point esté que dès lors n’eussions plusieurs telles causes en main, et que n’entendissions bien que ce n’est point assez de le plaindre en général, ou charger autruy; mais, comme nous avons tousjours espéré en espérons encoires que, pour l’expérience que mesmes Vostre Majesté dit avoir par le passé de nostre fidélité affectionnée à vostre service, et pour la confiance qu’elle a de noz bonnes voluntez, il n’estoit besoing d’autre preuve ou tesmoignaige, aussi nous n’avons jamais volu ni vouldrions nous rendre accusateurs; plustost nous nous sommes déportez de spécifier et déduire ces causes particulières, et n’user autrement contre luy de quelques aigreurs: mais, s’il plaist à Vostre Majesté procéder à plus ample information, elle n’entendra que trop les justes causes de la plaincte et malcontentement de voz très-obéissans subjectz. Tant y a que nous aimerions mieulx qu’il le vous pleust entendre, par le menu, d’autres non suspectz, que de nous: au moins, Vostre Majesté cognoistra lors que ce n’est pas sans cause qu’il y a une doléance publicque et commune, pour le regard d’aucune poinctz ou articles jà semez par le peuple. Et, en somme, quant il n’y auroit que le désordre, mescontentement et confusion que se trouve aujourd’huy en voz pays de par deà, ce seroit assez tesmoignaige de combien peu sert icy sa présence, crédit et auctorité.
Toutes ces choses considérées, et voians le peu de fruit que faisons en vostre conseil d’Estat, et à nous grand désavantaige et desréputation, comme plus à plain contient notre remonstrance cy-joincte, faicte à Madame, vous supplions, Sire, très-humblement trouver bon que nos abstenons d’entrer au conseil d’Estat, tant que serez servy y donner l’ordre que trouverez convenir pour vostre service et le bien de voz pays: car, n’estant maintenant te lque nous semble requis, et ayans adverti Vostre Majesté, passé deux ans, bien particulièrement de ce que dessus, et les raisons qui nous mouvoient vous le représenter, n’avons jusques à présent obtenu aucune résolution sur nostre fidel advertissement. Par quoy avons trouvé estre requis, pour nostre debvoir, nonobstant les diverses remonstrances de Son Altèze au contraire, ne nous plus trouver audict conseil d’Estat, afin que ci-après ne puissions estre inculpez des inconvéniens apparens et à la main causez par faultes d’autruy; et, cognoissans que ceste controversie d’entre le cardinal et nous en vostre conseil ne porte fruit à voz affaires, aimons mieulx luy céder, que non point insister à ce que nous semble nous estre par raison mieulx deu qu’à luy, tant plus qu’avons opinion que Vostre Majesté le désire ainsy; vous supplians partant nous vouloir mander sur ce vostre volunté. Cependant ne laisserons, Sire, nous employer, comme debvons, pour vostre service, aux affaires de noz gouvernemens et charges, et en tout ce que Madame aura besoing de nostre advis, pour le debvoir que portons à vostre service, et l’affection singulière à Son Altèze, saulf toutesfois de n’entrer audict conseil d’Estat, tant que par Vostre Majesté autre ordre y sera mis: ce que nous espérons sera de brief.
Il n’est besoing importuner, Sire, Vostre Majesté de plus prolixe remonstrance, d’autant mesmes que nous confions que Madame l’advertira de ce que l’avons requis pour ce que dessus: mais, pour toute conclusion, nous supplierons très-humblement Vostre Majesté que, cependant que sommes icy retenuz et comme arrestez pour le service d’icelle, deffence et conservation de sesdicts pays, il luy plaise néantmoins donner telle audience et foy à noz escriptz, que espérerions avoir, parlans en la présence de Vostre Majesté, à laquelle finablement nous n’oublierons supplier très-humblement d’excuser et prendre de bonne part la simplicité de noz lettres, d’autant que ne somme point de nature grans orateurs ou harangueurs, et plus accoustumez à bien faire qu’à bien dire, comme aussy il est mieulx séant à gens de nostre qualité. Sur quoy, Sire, nous supplierons le Tout-Puissant, après avoir très-humblement baisé les mains de Vostre Majesté, lui donner, en toute prospérité, bonne et longue vie. De Bruxelles, XXIXe de juillet XVc lxiij.